Ils étaient montés tellement haut sur le plan émotionnel que la chute n’en a été que plus vertigineuse. En moins de deux minutes hier à Mermoz, les Rouennais sont passés de l’exaltation à la consternation. Menés de trois points par Albi alors que le temps réglementaire était presque écoulé
(16-19, 79e), ils cherchaient la victoire, refusant les pénalités au profit des pénaltouches. Une première fois (75e), l’initiative s’était achevée sur une faute, un écran, dans la constitution du maul. Qu’importe, Henry, d’une précision chirurgicale au pied, s’entêtait et trouvait une nouvelle touche à 5 mètres. Le ballon était gagné mais les Normands ne
parvenaient pas à avancer. Pire, ils étaient repoussés d’une dizaine de mètres. Entré en jeu dix minutes plus tôt, l’ouvreur Ford tentait alors une passe au pied dans la diagonale. De l’autre côté, Villière assurait ses appuis, se saisissait du ballon, le calait sous son bras, fixait son vis-à-vis pendant une fraction de seconde et le débordait en un éclair dans le coin gauche, soulevant l’enthousiasme d’un public qui n’y croyait plus. « Depuis le début de la saison, ce sont des choses que nous n’osions pas tenter, on préférait jouer avec les avants », explique l’ailier international à 7 qui n’avait plus marqué depuis la 3e journée contre Romans-Valence. L’euphorie était totale puisque Henry convertissait l’essai (5/5 dans ce match), depuis le bord de touche (23-19, 80e).
C’était hélas oublier un peu vite qu’il restait presque deux minutes de temps additionnels. Les Tarnais assuraient un renvoi court et axial dont ils s’emparaient. Ils enchaînaient les temps de jeu, déplaçaient les Normands sur la largeur du terrain, à une trentaine de mètres de leur en-but. En désespoir de cause, ils prenaient le risque de taper par-dessus, le long de la ligne de touche. En couverture, un Normand se couchait devant le ballon mais ne parvenait pas à le maîtriser. Juste derrière lui, Nabaro, l’ailier d’Albi, n’avait plus qu’à tendre la main pour inscrire un improbable essai transformé (23-26, 80e+2). Les Tarbais sautaient partout, se tombaient dans les bras pendant que les Rouennais, éberlués, se tenaient la tête. « Ils ont eu de la chance que le ballon leur tombe dans les mains, constate Gabin Villière. C’est tout un concours de circonstances. Moi par exemple, je me suis fait agripper au ras du ruck, je n’ai pas pu aller défendre sur le 9. »
« C’est de notre faute »
Les Normands avaient déjà vécu un dénouement aussi cruel à Bourg-en-Bresse, lors de la dernière journée (20-27). Alors qu’ils tenaient le match nul, ils avaient encaissé un essai dans la troisième minute du temps additionnel. « Perdre un match sur la dernière action, c’est très dur mentalement. Mais deux fois de suite, c’est terrible, admet Richard Hill, l’entraîneur rouennais. Aujourd’hui, c’est la plus grosse déception de la saison car nous étions en pleine progression. C’est entièrement de notre faute. Ce ne sont pas nos adversaires qui nous battent. Nous nous battons nous-même. Albi n’a rien fait d’extraordinaire, il a surtout bien défendu et conservé le ballon avec des pick and go, encore et encore. C’était à nous d’être plus précis. Les gars doivent comprendre que lorsque nous travaillons des points, c’est pour être efficaces sur les détails. »
Loués pour leur patience et leur efficacité ces dernières semaines, les avants sont clairement fautifs hier. Ils n’ont jamais su concrétiser leur énorme domination en mêlée, ni surtout, dérouler un seul maul gagnant sur les innombrables situations favorables à moins de 5 mètres de la ligne. « Zack (Henry) ne pouvait pas trouver de meilleures pénaltouches. Seulement, derrière, il faut finir le travail, peste Hill. C’est extraordinaire le nombre de fautes que nous avons pu commettre. C’est difficile de comprendre pourquoi autant de joueurs en ont commis autant. »
En première période surtout, à l’impact, plusieurs ballons ont sauté de leur bras comme des bouchons de champagne. À vouloir trop pétiller, les Normands, encore trop tendres dans cette poule Élite, se sont exposés au pragmatisme d’une équipe mature, patiente, solide et usant de vieilles ficelles pour couper le rythme. Sans doute l’expérience, forgée en Pro D2 ces dernières saisons.
« Il ne faut rien lâcher... »
Jonathan Giraud (troisième ligne de Rouen) : « C’était un gros combat, comme chaque semaine, mais nous nous sommes rendus ce match compliqué tout seul. Albi n’a rien montré, il a surtout été plus pragmatique. Ce n’est pas une erreur de notre part d’essayer de marquer des essais plutôt que de tenter des pénalités. Notre défaut, ce sont les trois dernières minutes. Il faut vraiment qu’on bosse dessus, notamment la sécurité. Quand on a marqué notre essai, Albi a bien joué le coup avec un renvoi super bien tapé. On n’a peut-être pas su nous adapter car il avait mis une grande saucisse, un grand type, au milieu. C’est le métier de la poule Élite, il ne faut rien lâcher jusqu’au bout. Il faut qu’on apprenne à grandir. »
Jérémy Wanin (entraîneur d’Albi) : « Les deux équipes se sont longtemps cherchées avec beaucoup de coups de pied d’occupation. À l’extérieur, on n’était pas venu pour jouer de partout. On voulait faire un match sérieux, dans la gestion. On s’attendait à de pires conditions climatiques. Le ballon était presque sec à la fin. C’était un match d’avants mais la totalité de l’équipe, notamment notre charnière, s’est bien comportée. On a pris un peu le dessus en première période mais Rouen est très vite revenu. On a quasiment passé les quinze dernières minutes du match à défendre plutôt correctement au niveau de l’organisation et de la pression. Au vu de tout le travail effectué, Rouen a largement mérité de marquer l’essai sur son jeu au pied (80e). Derrière, on a récupéré le ballon, on a réussi à le tenir et à aller marquer l’essai qui fait exploser l’équipe de joie. À juste titre, car nous n’avons pas volé le match. »
ALAIN GESLIN